Les deux laboureurs
D'aprés la lithographie de Charles-Marie Dulac
C’est un champ immense jusqu’à la colline.
L’église toute petite, prés de l’arbre tordu, le vent dans les branches, les nuages accumulés annonçant un hypothétique orage.
Les deux laboureurs, en cette fin de journée conduisent péniblement leurs deux chevaux tirant une charrue.
Les pauvres bêtes exténuées ont ralenti l’allure.
Les deux laboureurs acharnés à aller le plus vite possible pour finir leur champ, leur trésor commun, ils hèlent les chevaux :
« Allez ! Allez ! ».
On les entend jusqu’au village.
Soudain un caillou bien trop gros arrête sec le premier laboureur.
Le deuxième esquisse un sourire de satisfaction, quand lui aussi bute sur un caillou.
Ils ont beau crier après leurs deux chevaux de trait, rien à faire. Les chevaux n’avancent plus. Pire un des chevaux excité par les cris tente de s’enfuir en se détachant de la charrue.
Il y arrive et part vite, très vite.
Le laboureur crie et crie plus fort. Il court quelques mètres. C’est trop tard, sa journée se termine bien mal : un champ non labouré et un cheval en cavale.
L’autre laboureur s’est assis au sol. Il admire le coucher du soleil sur la colline, le bruit du vent dans les arbres, la cloche de l’église qui sonne la fin de tout ce désordre.
Il allume sa pipe gardée dans sa poche et dit à l’autre laboureur : « Tu n’y peux rien. Le cheval reviendra sans doute de lui-même. Les charrues quand nous aurons creusé se libèreront des cailloux. Tu n’as qu’à remettre à demain, aujourd’hui il est trop tard. Viens rentrons ! »
« Tu es fou, les chevaux ne vont pas rester ici ! »
« Détachons-les. Reconduisons-les. Rentrons. »
Les deux hommes s’exécutent et rentrent les trois chevaux.
En se levant le lendemain matin, il reconnaît par la porte entrouverte le cheval qui s’était enfuit.
Leur trésor est sauvé.
Il n’y avait qu’à y croire.